Les hauts murs by Auguste le Breton

Auteur:Auguste le Breton [le Breton, Auguste]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Autobiographie
ISBN: 2-280-13193-5
Éditeur: Plon
Publié: 1967-01-28T05:00:00+00:00

VIII

L’après-midi, l’économe dirigea Tréguier sur l’atelier du fer, non sans lui demander ce qu’il préférait : fer ou bois ? Le garçon choisit le fer. Ce métal lui paraissait plus viril que le bois ; en définitive cette idée dicta son choix.

Par un grand vantail situé à côté des chiottes, il pénétra dans l’atelier de mécanique, sorte de vaste grange en pierres noircies, où une trentaine d’étaux couraient le long d’établis graisseux. Au centre du local, des machines, tours et perceuses, mordaient le métal dans un vacarme assourdissant. Tout au fond, une forge à main, actionnée par Molina, projetait d’un souffle coléreux des centaines d’escarbilles sur des enclumes et de gros outils jetés à même la terre battue.

Un vieux d’une soixantaine d’années accueillit Tréguier. Ses longs cheveux, ses moustaches tombantes, le tout d’un blanc de neige, lui donnaient l’air d’un brave homme.

— C’est toi, Yves Tréguier ? dit-il la main tendue.

— Oui, Chef.

Un enfantin sourire éclaira le visage au teint rosé de l’homme. Ses yeux, d’un bleu très clair, considérèrent le gamin avec bienveillance. Il spécifia :

— Ne m’appelle pas chef, mon gars. Je suis responsable de votre apprentissage, ici, mais je ne suis pas un surveillant. Appelle-moi donc M. Roux, comme tous tes copains… Ou plutôt père Roux, comme ils disent.

— Bien, monsieur Roux, dit Tréguier conquis.

— C’est parfait, fiston. Ainsi, tu veux travailler dans le fer ? Nous allons voir ça. J’ai justement un étau de libre à côté de Saint-Roch. Tu vas y débuter tout de suite. Suis-moi.

Tréguier admirait avec quelle nonchalance distraite l’Astucieux promenait sa lime sur un cube de fer coincé dans son étau.

— Eh bien, Saint-Roch, remarqua le père Roux, t’as peur d’user tes outils !

L’Astucieux avait tressailli. Il soupira de soulagement en reconnaissant celui qui l’interpellait, et se décida à accélérer, oh ! à peine, son rendement.

— Tu n’es pas venu ce matin, reprit le vieux. Où étais-tu ?

— De corvée, père Roux ! répliqua l’Astucieux, s’arrêtant spontanément de limer.

— Ouais ! bougonna le vieux. Ça m’étonnerait que cette corvée t’ait pris toute ta matinée. Et s’il était passé un surveillant pour contrôler, hein ? Comment me serais-je expliqué ?

Le vieux s’anima :

— Bougre d’âne ! C’est à croire que tu vas au-devant des embêtements et que tu cherches à m’en créer. Normalement, j’aurais dû signaler ton absence. Je te préviens que si ça se reproduit, je le ferai.

On devait savoir à quoi s’en tenir sur les menaces du vieux car, souriant, l’Astucieux reprit sa lime et se remit à caresser son cube de fer.

— C’est pas tout ça, continua le vieux. Tréguier, tu vas t’installer à cet étau. Je te fournirai des outils par la suite. Pour aujourd’hui, tu vas apprendre à scier. Passe-moi ta scie à métaux, Saint-Roch !

L’Astucieux rentra la tête dans les épaules.

— La lame est cassée, père Roux, se lamenta-t-il.

— Sacré propre à rien ! gourmanda le vieux. Va en porter les morceaux au magasin, qu’il t’en donne une neuve. Je me demande comment tu peux esquinter tant d’outils, toi qui ne cesses de bâiller toute la journée.

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